Du côté de chez Swann


Rosemarie, qu’avez-vous vu
Que vos yeux n’ont su expliquer
Rosemarie, qu’avez-vous su
Que le temps ne vous ait volé

Constance et Ruth, la traîne est longue
De vos seize ans désamarrés
Des restes flous et des love songs
Suivent vos bottines fourrées

Énamourés comme on regarde
Nous sautillions comme grenouilles
Le temps des romances nous tarde
L’attente nous cassait les couilles

Les filles c’est vraiment formidable
C’est beaucoup mieux que le ping-pong
C’est très joli et très aimable
On voit pourquoi y a des love songs

Dans les cours de lycées grouillantes
De jeunes forces sans patience
Frémissait la jeunesse enfante
De longues années qui commencent

Cordés d’impossibilités
Et d’innocences adorables
Nous apprenions la vie l’été
Dans la musique et dans le sable

Notre existence a débuté
Groupés par groupes amoureux
Nous nous séparions à l’été
Certains restaient dans la banlieue

Au salon de l’appartement
Joie des juillets, jeunes journées
Le téléphone des parents
Nous délivrait la voix des autres

En juin partage qui n’est plus
On regardait Roland-Garros
Avec Papa l’après-midi
Agassi avait un short rose

On allait à Créteil-Soleil
Avec Maman l’après-midi
Partage repris par la nuit
Ces années ne seront plus nôtres

Ses bonbons au réglisse amer
Le pare-brise à moucherons
Et les gitanes extra-légères
Qu’on ne fume plus depuis long

Les mégots blancs disséminés
Auxquels restait le rouge à lèvres
Ça fait longtemps que les années
N’ont pas revu ce rouge à lèvres

On fumait quand on se voyait
Ivres avec les camarades
Le temps balaierait on riait
Les années tombaient en cascade

Parfois nos soirées de grands frères
Accueillaient la petite sœur
L’adolescence est passagère
Et l’après-midi dure une heure

Les filles avaient des mystères
L’inexpérience des garçons
Souvent ne savait que se taire
L’amour réservait ses leçons

La jeunesse connaît la mort
Elle s’en va comme les choses
Nous ne le savions pas encore
Le temps ne fait jamais de pause

Au bout du temps nous attendaient
Le bac et l’université
Ou de n’être pas diplômés
La suite a aiguillé les vies

Nous apprivoisâmes l’étrange
En franchissant la société
Ou c’est le confort du mensonge
Qui nous aura apprivoisés

Nous avons intégré la masse
Les amitiés sont dispersées
Nous retournerons à l’espace
Quand nous rejoindrons le passé

Le grand amour de terminale
Qu’on regardait dans les fumées
Fait famille avec un semblable
Ces quatre-là semblent s’aimer

On a consigné les photos
Nous ne comptons plus les étés
L’ignorance s’enfuit trop tôt
Le comprendre nous a coûté

Vous me manquerez années tendres
Où l’air du temps semblait toujours
Nous avons grandi sans comprendre
Que nous vivions un temps d’amour

La jeunesse s’en est allée
Les forces des parents faiblissent
D’autres amours ont remplacé
Les boîtes sucrées de réglisse

Toujours là dans la boîte à gants
Les bonbons un jour disparaissent
Avec eux s’en ira Maman
On ne fera plus de promesses

L’amour sera ce candélabre
Qu’a laissé l’ancien habitant
Déjà dans le soir qui se cabre
Le temps ajoute ombres au temps

Dussé-je avoir la clé des jours
Je ne vivrais plus mes seize ans
Mais j’irais bien refaire un tour
Du côté de chez Swann Maman