LA FIN DES TEMPS 2


Les nappes des pique-niques
Volent dans les prairies
On gagnera les criques
Pour sûr avant midi

Entre des vents contraires
On se cuitera au martini
Les haleines feront des vagues
Les paupières auront des plis
Nous serons un vaste jet-lag

La mer envoie des plis d’écume
Et l’on se noiera à moitié
Le monde finit dans la brume
D’une journée ensoleillée

Sur la plage il y aura des crabes
Le sable entrera dans les shorts
On aura épuisé les rabs
Nous serons une piètre cohorte

Sous le rocher des coquilles vides
Et des souvenirs de scolopendres
Il n’y aura plus rien à attendre
Que de restantes arachnides

De loin en loin des voix humaines
Ponctuent le son de la saison
Le vide a recouvert les plaines
Le vent est la seule chanson

Par populations dérisoires
Nous habitons encore le vent
Le temps a remplacé l’histoire
Nous vivons le dernier soleil

D’anciens prénoms parfois remontent à nos oreilles
Échos d’été, aile et silence
Anciens refrains déshabités
Coins de la photo de vacances

Grésillant un instant comme les abdomens
Séparés des abeilles
Clignotent
Encore
Un peu
Et dans l’écho qui s’affaiblit
Ayant joué la dernière danse
Retombent dans l’eau de l’oubli
Où l’eau mourante les emmène


Ivres comme des colonels
On aperçoit à quelques mètres
Les seins d’une fille trop belle
Pour désirer de disparaître

Des baisers qui puent de la gueule
Surgissent comme des ondées
Séparés le baiser passé
Les deux amants repartent seuls

Sur le sable une vingtaine de corps
Déambulent dans le décor
La compréhension de la mort
Dans l’air comme cendres qui volent
Aveugle les yeux aveuglés
S’accroche à toutes les peaux molles
Ça sent la fin du rock ‘n’ roll
Là-bas une vache a meuglé

Raie manta ondulante et continue la brise
Glissant comme font les anguilles
Indifférente à nous comme la déesse assise
Nul amour ne la trouble, nulle colère ne l’habille
Elle passe en ce jardin où la vie s’amenuise
Sur le plateau là-bas s’éteint une chenille

Nos âmes vont penchant comme des tours de Pise
Le désir se résorbe au fond des yeux des filles


Eussions-nous pu continuer
La journée aurait eu du charme
Au soir on aurait dénué
Lits et balcons de toute larme

Les goûts se seraient avoués
Entre oursins et jambons de Parme
Les yeux n’auraient été voués
À rien qu’à leur discret vacarme

Au matin venu les viennoiseries
S’offriraient comme des colliers
Dans le jour soyeux comme une souris
Aux invités beaux comme des mariées
Qui sur le patio viennent et sourient

Essaim recevant distillée dans l’air
Parfum d’un présent où rien ne périt
La bénédiction des roses trémières
À table inconnus mais amis
Frémissante assemblée qu’unit
L’interminable cafetière


Et dans la lumière
On reconnaîtrait
Les visages clairs
Qu’on a vu de près


Aujourd’hui dans le soir mouillé
On ne se souvient pas du goût chaud des croissants
Le dernier jour va s’effeuiller
On ne connaîtra plus le matin jaunissant


Il n’y a ni armes ni blessés
Il n’y aura pas d’amour naissant
On a épuisé les rosiers
La rose du temps est passée


Un interlude musical
Ne préviendra pas que s’approche
La fin du vert et du rose pâle
Les nuances des nuanciers
S’estompent

Les éventails sont repliés

La fleur perd encore un pétale

La brise joue parmi les roches




Bientôt il n’y a plus rien à boire
Les femmes se sont rhabillées
Certains commencent à s’asseoir
La mer continue à briller


Aux yeux ouverts les cils sont de plus en plus lents
Les iris sont lavés comme des aquarelles
Passe encore incertain un souvenir d’ombrelle
Vivre encore un printemps ne m’aurait pas déplu

Tout doucement le froid fait son nid dans les paumes
Les poitrines fantômes
Ne se soulèvent plus
Qu’imperceptiblement

Les ombrelles passées tout doucement se rompent


On ne sent plus son corps
Le crépuscule est frais
La mer éteint son or
Plus rien ne nous effraie

Un être liquide
Nous entoure
Ni léger ni lourd
Juste vide

On a oublié les regrets
On entend les derniers roseaux
On ne dira plus de secrets
On ne verra plus les oiseaux


Les roches effacées
Dont plus rien ne ressort
Qu’une ombre sur les bords
Dans le contour des choses
Vestiges des années
S’estompent à leur tour
Le vivant se nécrose
Je n’ai aucun remords


Les cheveux longs le ciel les roches
Comme des nappes
S’effilochent

Les silhouettes des camarades
Petit à petit se décousent
Les bikinis se font plus loose
La substance s’émiette à côté des iPads

La sensation d’été
S’éloigne
L’immatérialité
Nous gagne


Plus un fragment ne frappe
Aucun détail n’accroche
Le regard est égal
À un lac


Le ciel n’est plus rose
Il n’y a qu’un dehors
L’ancien quelque chose
S’évapore



Je n’ai pas pris la
J’aurais dû dire à




Faïence
Du ciel
Je pense
À celle

Je pense
À rien
On voit
La mer

L’air
Noie
Le dernier chien
Aboie

On regarde
Attend

On regarde
Attend

Et tandis que nos identités personnelles commencent doucement comme par savoir et intuition à se dissoudre dans l’air autour, et dans l’image des derniers rayons de soleil orange achevant de frétiller de plus en plus imperceptiblement sur la mer, et que nous devenons de moins en moins nous-mêmes, nos particules d’âmes s’éparpillant progressivement dans l’air comme des grains de lumière dans le vent léger, ne laissant en nous que perceptions de voir et d’entendre et fondu progressif dans le restant des choses et ce qui nous survivra ou non, où le murmure du silence se faisant de plus en plus étouffé nous entendons parfois des bruits de plus en plus faibles et de plus en plus lointains,